L’inaction des gouvernements et des décideurs de la planète sur la question climatique est essentiellement liée au phénomène complexe de « Résistance au changement ». Existe-t-il des outils ou des méthodes capables de diminuer ces freins?

Trente ans après la ratification de la Convention Climat de l’ONU par la plupart des parlements de la Planète, le journal Le Monde dresse un état des lieux de ce qu’il est advenu des engagements pris.

Le bilan est plutôt triste. Les émissions mondiales de gaz à effet de serre n’ont fait qu’augmenter (environ 45 % depuis 1990) pour atteindre près de 60 milliards de tonnes d’équivalent CO2 en 2019. C’est un échec retentissant dû à l’inaction des gouvernements, des politiques et des dirigeants de l’économie!

Le Monde évoque 5 pistes pour expliquer cette inaction. Ces pistes sont pour la plupart liées à des manifestations diverses d’un même phénomène: les résistances au changement. L’article du Monde étant en lien avec mes recherches sur le management transformatif, dont l’objectif est d’améliorer notre capacité de gérer les résistances au changement, je voudrais ici en reprendre et développer quelques points.

L’incertitude

La première piste évoquée par Le Monde est, qu’en 1990, l’ignorance et les incertitudes sur la compréhension du phénomène pouvaient justifier l’inaction. Il y avait débat sur l’influence ou pas de nos activités humaines sur le climat. Certains prétendait que c’était un phénomène naturel, d’autres s’alarmaient.
Mais, depuis 10 à 20 ans, il n’y a plus de doute! Ce n’est plus l’incertitude qui freine l’action, c’est autre chose…

« Business as usual »

La 2ème piste évoquée par Le Monde m’intéresse particulièrement: elle condamne les décisions « climaticides », comme le dit Le Monde, qu’ont continué de prendre les gouvernements, les politiques et les dirigeants de la planète, à un moment où il est peu concevable qu’il ne soient pas au courant du « sérieux problème » qui était en train de nous tomber dessus.

On peut encore comprendre que les défenseurs de l’économie traditionnelle aient préféré ignorer les cris d’alarme des militants écologistes de la première heure. Mais dès 1972, c’est la communauté scientifique qui s’est emparée du problème. Avec des méthodes les plus modernes et sérieuses de l’époque, le Club de Rome, un panel de scientifiques, d’économistes, de fonctionnaires, ainsi que des industriels de cinquante-deux pays, a modélisé ce qui devait arriver si on continuait sur le mode « Business as usual ». Inquiets, ils ont alors analysé ce qu’on pouvait changer. Mais, dans la plupart des scénarios produits par les ordinateurs, en jouant avec toutes les variables possibles, notre modèle de société semblait devoir rentrer en crise au tournant des années 2020-2030 pour se casser plus ou moins la figure vers 2040-2050. Cinquante ans après, leur rapport nommé « The Limit to Growth » connait un regain d’intérêt. Pas étonnant, leurs prédictions se sont révélées malheureusement excellentes.

Les quatre scénarios de Limits to Growth : BAU, BAU2, CT, et SW. Repris de Herrington (2022) I did a data check on World3. Here’s what I found. In Bardi & Alvarez Pereira (Eds.), Limits and Beyond: 50 years on from the Limits to Growth, what did we learn and what’s next? A report of the Club of Rome (pp. 219–228). Exapt Press.

De nombreux détenteurs de pouvoir ont incontestablement pris, depuis deux décennies au moins, des décisions « climaticides », en toute connaissance de cause.

On peut encore admettre qu’en 1972 et dans les années qui ont suivi, The Limit to Growth (aussi connu sous le nom de Rapport Meadows) soit passé inaperçu dans de nombreux parlements ou conseils d’administration. J’admets que je n’ai moi-même découvert son existence qu’il y a environ 2 ans. Mais qui peut prétendre n’avoir pas entendu parler de l’AGENDA 21? C’était en 1992, à l’occasion du Sommet de la Terre de Rio. Ou de l’AGENDA 2030 qui a pris la suite en 2015 face à l’inefficacité du premier? Cette fois-ci, ce ne sont pas seulement une bande de scientifiques, mais les pays 193 pays signataires qui ont intégrés dans leurs stratégies 17 objectifs de développement durable fixés par l’ONU. Le Conseil fédéral les a intégré dans son agenda politique. Les cantons et les communes suisses les ont déclinés à leur niveau. Quelques effets se font enfin sentir enfin depuis 2015, mais pour le moment les corrections sont insuffisantes pour évité les scénarios d’effondrement (ils semble que l’on suive d’assez prêt le scénario BAU2).

De nombreux détenteurs de pouvoir ont incontestablement pris depuis deux décennies au moins des décisions « climaticides », en toute connaissance de cause. Ils ont placé leurs logiques décisionnelles, les intérêts de leurs systèmes ou leur propres intérêt, au-dessus des agendas mondiaux…

« Les leaders ont semé le doute » dixit Le Monde

Pour justifier une telle hiérarchie de décision, il faut des arguments solides. Il faut affirmer qu’on a raison et que l’ONU se trompe. Ou alors que l’ONU a raison, mais qu’il n’y a pas encore urgence… Pourtant 2030, c’est dans 8 ans!? Dans l’une comme dans l’autre des options, il est question d’avoir une vision du monde, une idéologie, un dogme, qui justifient nos décisions.

En science des systèmes, on appelle cela un paradigme systémique. Quand on s’engage pour faire fonctionner un système, on le fait dans le respect, voire dans une sorte de soumission au paradigme dominant. Dans les partis politiques, le paradigme dominant est donné par la ligne du parti. Dans les entreprises, il est principalement imposé par le top management. Mais, sans qu’on s’en rende vraiment compte, les paradigmes que l’on suit nous emprisonnent de fait dans leur logique systémique. Ils nous empêchent de voir les choses autrement. Ils ne portent pas en eux la possibilité de remettre en question leur propre logique. Il en va ainsi de tous les paradigmes, du paradigme paternaliste au paradigme pluraliste, en passant par l’idéal anarchiste ou les certitudes libérales.

Le paradigme de l’économie traditionnelle est que sa prospérité bénéficie à tous. Qu’il est le système qui a prouvé la plus grande efficacité pour lutter contre la pauvreté au niveau mondial. Il s’est montré aussi capable de concentrer des richesses entre les mains d’une minorité d’élus, mais ça, c’est un autre débat.

Pour défendre les intérêts de ce système politique et commercial, les dirigeants conservateurs et néolibéraux de la planète se sont lancés dans une croisade contre les lanceurs d’alertes « écolo-sensibles ». Ils mènent depuis 30 ans et malgré le flux d’information clair et cohérent, une guerre contre l’information, les médias, la science et la prise de conscience généralisée. Les rapports scientifiques sont réinterprétés, contestés, ignorés. Lorsque les parlementaires suisses sont invités à un échange avec des représentants du GIEC, les deux tiers de la salle sont vides! Bien que convaincu moi-même que l’économie est le moteur de notre société et que son dynamisme doit être soutenu, j’avais vu là « un comportement de cours d’école« . Un élu de droite très en vue expliquait que le PLR (son parti) « n’est pas d’accord que ce soit un groupuscule qui décide de l’ordre des priorités des politiciens élus ». Il affirme plus loin que « le climat ne doit pas être considéré comme une priorité supérieure aux autres ». Ah bon? Pourtant, en 2019, à la veille des élections fédérale, face aux préoccupations des Suisses pour le climat, le même parti avait bien « verdi » sa ligne politique. Opportunisme ou prise de conscience réelle? S’était-on demandé à l’époque. La réponse est tombée deux ans plus tard.

« Les mensonges, duperies et calomnies des mal-nommés climato-sceptiques ne sont évidemment pas innocents » dit Le Monde. Pour défendre le paradigme auquel on est soumis, lorsque les tensions de changement menacent de le fissurer, nombreux sont prêt à tout! Prêt à tout pour ne rien changer. L’honnêteté intellectuelle peut en prendre un sacré coup, mais elle tiendra le coup et gardera le cap. Et si les tensions sont trop fortes, on fait des concessions, on met de l’eau dans son vin, ou du vert dans la couleur de son parti.

Nombreux sont les leaders politiques ou les dirigeants d’entreprises qui, pour mélanger la défense de leur paradigme avec la montée en puissance des préoccupations environnementales, ont eu recours au Greenwashing, en soutenant publiquement l’effort de la transition écologique, tout en prenant des décisions contraires à ces même intérêts écologiques.

Choisir entre pauvreté et catastrophe climatique

Mais la prospérité globale de l’humanité et l’amélioration des conditions de vie des plus pauvres est aussi un des objectifs du développement durable. Pourtant, selon Le Monde, la priorité donnée par les accords de l’ONU à la lutte contre la pauvreté était d’emblée contradictoire avec la lutte pour le climat. C’est imparable statistiquement. L’amélioration du niveau de vie planétaire est directement proportionnelle à l’augmentation des émissions de CO2. Alors que fallait-il faire? Renoncer à la lutte contre la pauvreté et les inégalités sociales pour sauver le climat? Ou renoncer au climat et poursuivre la lutte contre la pauvreté (qui au passage sert la croissance…)? Le choix semble avoir été fait par la majorité des gouvernants et les dirigeants d’entreprises. Lutter pour la prospérité des humains même si cela nous dirige droit dans un mur…

Nouveautés et résistances

De nouveaux modèles économiques voient pourtant le jour depuis une ou deux décennies. L’Économie du Donut, l’Économie circulaire, l‘Économie responsable, trace de nouvelles voies. De nouvelles forme de management émergent également: Diriger depuis les futurs émergents, le Management de la complexité, le Management systémique, l’Organisation réinventée, et beaucoup d’autres montrent qu’il y a d’autres façons de diriger. Le leadership aussi peut devenir plus transformatif, plus régénératif, plus harmonieux. L’objectif de mon travail de recherche en management du changement, depuis 2 ans, est d’explorer ces nouveaux modèles économiques et de décoder les processus qui permettent de faciliter la transition de nos fonctionnements traditionnels vers ces nouveaux modèles.

Le phénomène des résistances au changement pourrait être mieux maîtrisé si l’on appliquait les principes que l’histoire du changement dans les systèmes humains nous enseignent.

Le principal ennemi du changement, ce n’est pas l’ignorance. La plus grande barrière, c’est le phénomène parfaitement naturel et souvent bénéfique des résistances au changement.

Trois principes fondamentaux pilotent ces résistances

Quand le changement devient nécessaire et urgent, ces résistances au changement, armée puissante au service de nos paradigmes, deviennent notre propre et pire ennemi. Ce phénomène reste un assez grand mystère. Mais on peut le simplifier! Il ressort de mes recherches que trois principes fondamentaux seulement pilotent ces résistances.

Ces principes reposent sur nos représentations formelles du monde: car nous voyons tous le monde de la même façon finalement! Nous le voyons comme formé de systèmes. C’est-à-dire un ensemble d’éléments distincts, mais interconnectés, qui interagissent de manière organisée, pour former un Tout singulier qui sert à quelque chose dans son environnement.

L’intégration pluraliste, l’organisation, et la performance sont ainsi nos trois priorités en toute chose. C’est en respectant ces trois principes, tout en les redéfinissants continuellement, que les systèmes humains se transforment avec le temps. C’est ainsi que ça se passe, du développement cognitif chez l’enfant, à l’égo chez l’adulte ou de notre style de leadership à nos modèles socioculturels depuis 100’000 ans. Le phénomène des résistances au changement pourrait être mieux maîtrisé si l’on appliquait les principes que l’histoire du changement dans les systèmes humains nous enseignent.

L’approche transformative pour ceux qui veulent vraiment changer

Mon travail de R&D m’a permis de développer une nouvelle approche du management: « l’Approche transformative« . Il tient compte et s’est bâti sur ces principes qu’expriment les systèmes dans la nature. Le concept du Management transformatif semble permettre d’améliorer notre capacité à gérer, faciliter ou catalyser le changement quand cela est nécessaire et urgent comme en ce début de 21ème siècle. L’Approche transformative, c’est aussi un outil d’aide à l’analyse et à la décision: la « Q matrix ». Son développement est en cours, mais je propose déjà une méthode et des outils à destination des leaders et des entrepreneurs qui veulent changer les choses… maintenant!

De toute évidence, transformer nos systèmes demande de nouvelles compétences et de nouveaux outils, car le pire ennemi de la transformation, c’est l’inertie des systèmes créée naturellement par les résistances au changement!

Gianni Di Marco
Spécialiste en management transformatif & développement du leadership